(Cet article est extrait de « Histoire et mémoires des immigrations en Région Centre », rapport coordonné par Sylvie Aprile, Pierre Billion, Hélène Bertheleu. Acsé, Odris, Université François Rabelais, mai 2008)

Les Algériens 1950-1970

Le vieux Tours et le quartier des Halles furent aussi un lieu d’implantation des premiers Algériens arrivés à Tours dans les années 1950. F. Bourdarias, dans un travail anthropologique très documenté, a pu retracer cette page d’histoire relativement méconnue.

« Les gens de Hadjadj »

Sur les 55 Algériens interrogés par F. Bourdarias en 1971, 31 venaient de la même commune d’Hadjadj (département de Mostaganem) en Algérie : « Les gens d’Hadjadj viennent à Tours. Pourquoi‍? Je ne sais pas, c’est comme ça depuis toujours », . répond l’un d’eux. C’est en tout cas vrai pour les familles installées à Tours « J’avais des adresses de gens qui étaient du même pays que moi à Tours », explique l’un d’eux tandis qu’un autre âgé de 35 ans souligne : « Je ne voulais pas que ma femme et mes enfants se trouvent seuls ».

 

Les chiffres montrent en effet que cette même origine géographique est moins vraie pour ceux qui arrivent seuls. En tout cas, 38 sur les 55 hommes algériens interrogés sont venus à Tours pour y rejoindre des parents ou des amis, reflétant le système bien connu des filières d’émigration-immigration : le regroupement géographique selon le lieu d’origine est le fait de toute immigration de quelque importance, valable ici pour les Algériens comme il le fut pour les Bretons à Paris ou pour les Polonais dans le Centre ou l’Est de la France. A Tours, ce regroupement a pris une certaine ampleur à partir de 1953, date à laquelle l’Association d’Entraide aux travailleurs Algériens commence à être active « sous l’impulsion de commerçants et artisans ayant fait souche à Tours ».

Comme on le voit dans le tableau ci dessous, 29 Algériens enquêtés sur 55 sont venus directement à Tours depuis leur commune algérienne. D’autres ont quitté Tours pour trouver à Paris un travail mieux payé, certains y sont revenus pour se marier.

Tours

Paris

Marseille

Est

Autres Régions

1e étape

29

6

9

7

4

2e étape

14

10

3

1

3

3e étape

13

2

2

4e étape

4

L’origine sociale des 55 migrants algériens rencontrés à Tours en 1971 est surtout rurale. Toutefois, si 45 d’entre eux déclarent être originaires d’une commune rurale, 20 ont résidé en ville avant leur départ vers la France. 28 sur 55 ont vécu une transition directe entre leur ancienne vie rurale et leur nouveau statut de travailleur en contexte urbain.

Fils d’ouvrier agricole ou de petit propriétaire

29

Fils de commerçant ou artisan

8

Fils d’ouvrier (arrivés comme enfant)

7

Fils de sans profession

4

Sans réponse

7

Total

55

La recherche du premier logement

Comment le premier logement a-t-il été trouvé par les migrants algériens arrivant (sans leur famille) à Tours et de quel type de logement s’agissait-il ? Voici ce que les 55 enquêtés ont répondus, en 1971, se souvenant de leur premier logement, quelques années auparavant :

Effectifs

Pourcentage

Hébergement par des parents ou amis

15

27.3 %

Hôtels meublés – Cafés algériens

21

38.1 %

Logement sur le chantier

4

7.3 %

Baraquements – Bidonville

11

20 %

Foyer Sonacotra

4

7.3 %

Total

55

100

A son arrivée, le migrant éprouve les plus grandes difficultés à se loger. Il connaît alors les conditions de logement les plus précaires (bidonville) ou les plus coûteuses (hôtel). Beaucoup sont hébergés, à leur arrivée, par de la famille ou des amis installés en cité de transit ou en cité HLM, jusqu’à ce que les premiers salaires permettent de se débrouiller seul. Un homme algérien arrivé en 1958 raconte aujourd’hui le logement dans les « maisons de l’Abbé Pierre » de la cité de la Riche. Deux familles s’y côtoyaient, dès que l’une d’entre elles s’en allaient, une autre venait la remplacer. Les enfants dormaient dans des lits superposés installés dans la salle de bain. Ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de loger en cité de transit ou HLM sont allés au quartier des Halles, trouvant une chambre à partager (avec un ou plusieurs compatriotes) ou en louèrent une directement dans l’un des deux « cafés arabes » tenus par des Algériens. « Deux copains avaient une chambre dans le Café, je suis resté plusieurs mois avec eux, je couchais par terre, sur un matelas », explique l’un d’eux. Un témoignage fait état aussi d’un foyer boulevard du Général Renault où, le soir, certains viennent occuper le lit d’un compatriote parti travailler de nuit.

Le quartier des Halles, autrefois occupé par des familles ouvrières françaises, abrite, dans les années 1970, des Algériens et des Portugais célibataires qui occupent des chambres meublées dans de petits hôtels anciens et parfois insalubres. Les locataires les plus anciens ont quitté le quartier pour se diriger vers les foyers ou les cités de transit ou HLM. En ce début des années 1970, les travailleurs algériens sont progressivement remplacés par leurs homologues portugais dont les conditions de logement sont les plus précaires.

L’auteure explique : « Le quartier des Halles apparaît comme le pôle d’attraction des nouveaux arrivants – l’existence dans ce quartier d’une communauté algérienne assez forte, jusqu’à ces dernières années, leur permettait de rompre leur isolement et de mieux supporter le premier choc occasionné par l’immigration. Deux cafés algériens se trouvent au centre de cette vie communautaire. Ce sont à peu près les seuls locaux où peuvent se réunir les travailleurs algériens, les juke-boxes y diffusent de la musique arabe, le restaurant permet d’observer les prescriptions coraniques, les responsables de l’amicale des Algériens y tiennent leurs réunions. Aucun Français ne fréquente ces établissements ». Le contexte est défavorable aux Algériens, ce qui contribue à ségréguer nettement les espaces de vie.

« On refuse de nous servir dans les cafés français. Ou alors, si il y a la télé, on fait des réflexions sur les Algériens au moment des informations », explique l’un d’eux. Pour se loger, c’est encore pire, certains hôtels refusant d’héberger des clients de nationalité algérienne. « En déplacement, c’est dur de trouver, il y a des hôtels qui ne logent pas les Algériens, on nous dit ‘c’est complet’. Quand je viens à Tours, je loge toujours dans ce café », déclare un travailleur de passage.

Cette concentration dans le vieux Tours va bientôt être balayée par les opérations de rénovation urbaine : la dispersion des travailleurs immigrés et de leurs familles se fera inexorablement vers les périphéries, notamment vers les cités HLM de La Riche, Saint-Pierre-des-Corps, Joué-lès-Tours et du Sanitas à Tours.
Le logement : foyer, bidonville et cité

Les travailleurs isolés logent souvent dans l’un des deux foyers réservés aux célibataires : celui de la rue Jolivet à Tours qui compte 80 personnes (fermé à toute investigation au moment de l’enquête de F. Bourdarias) et celui de Joué-lès-Tours très récent à l’époque et qui abrite des célibataires de toutes nationalités, y compris des jeunes travailleurs français.

Le foyer Jolivet est le plus ancien. Il est propre mais « présente l’aspect maussade et rébarbatif d’une caserne ». « L’atmosphère qu’y entretient le gérant, ancien militaire colonial, est en parfaite harmonie avec cet aspect extérieur. Les pensionnaires du foyer sont considérés comme des individus à surveiller plus que comme des locataires. Les visites des Français sont pratiquement impossibles, seuls les Algériens peuvent entrer dans le foyer sans être arrêtés par le gérant. Les visites féminines sont bien sûr strictement interdites. Le foyer prend ainsi l’allure d’un véritable ghetto. Les travailleurs sont logés dans des dortoirs de quatre lits. Le loyer mensuel est en 1971 de 100 francs, un dortoir rapportant ainsi 400 francs par mois à la Sonacotra. A chaque étage, les locataires disposent d’un réfectoire, d’une cuisine et d’installations sanitaires. Au rez-de-chaussée, le foyer comporte un bar et une salle de réunion où ont lieu les cours d’alphabétisation ».

Plusieurs locataires dénoncent ouvertement l’atmosphère de suspicion qui règne dans le foyer, du fait de l’attitude du gérant qui oscille entre « le paternalisme humiliant » et « l’hostilité ouverte », constate l’enquêtrice. « On n’a pas de droit ici. Le gérant est un ancien colon. Il nous traite comme des colonisés » dénonce l’un d’eux. Plusieurs préfèreraient avoir une chambre dans le foyer de Joué-lès-Tours. Les travailleurs y sont logés en chambre indépendante, quoique extrêmement exiguë (7m²). Le loyer, en passe d’augmenter sensiblement (de 120 à 137 francs en 1971) est jugé élevé par les Algériens dont les salaires oscillent à l’époque entre 800 et 1000 francs par mois. Le gérant de ce foyer semble plus conciliant que le premier, tout en faisant respecter un règlement tout aussi strict. La vie y est organisée spatialement en « couloirs » de douze chambres, qui séparent les différentes nationalités cohabitant dans le foyer. On a ainsi le couloir des Algériens, celui des Français, celui des Yougoslaves, comme autant de « territoires » non mixtes. Le gérant, comme les locataires, pense sans doute éviter ainsi d’éventuelles tensions.

Certains migrants sont logés directement par leur entreprise mais ce n’est pas courant à Tours où une seule entreprise de Travaux Publics offre ce service à ses ouvriers. Michelin fait de même mais aucun Algérien ne peut en profiter puisque l’entreprise ne recrute pas de Nord-Africains. Un algérien interviewé en 2008 souligne que les employeurs n’aidaient absolument pas pour trouver un logement et souligne le rôle pivot non seulement de la solidarité entre compatriotes mais aussi des assistantes sociales.

Ceux qui, parmi les Algériens, ont dû vivre en bidonville à leur arrivée (20 % des personnes interrogées), ont connu les baraquements de Saint-Pierre-des-Corps, ou ceux situés rue des Docks à Tours, qui ont ensuite été détruits. Devant la difficulté de trouver un logement convenable et un loyer accessible, certains renoncent à faire venir leur famille. D’autres décident de revenir avec femme et enfants au risque d’une période d’instabilité éprouvante : « Avant, j’habitais dans des baraques, puis en chambre d’hôtel. En 1963, je suis venu avec la femme et les enfants. On a traîné par-ci par-là : chez des copains, puis on a trouvé à Saint-Cyr, mais on payait trop cher…Après, j’ai trouvé dans des baraquements et en 1967, on est venu ici, à la cité des Sables » (chef de famille algérien, 40 ans).

Au début des années 1970, le logement en bidonville est désormais l’exception pour les Algériens, alors qu’il concerne largement les Portugais arrivés récemment. Les familles, elles, sont plus souvent logées dans les cités HLM comme celle de La Riche (la cité des Sables, délabrée) et de Saint-Pierre-des-Corps (la cité de la Rabaterie, toute récente), mais aussi à Joué-les-Tours (cité de la Rabière, récente aussi) et à Tours même, dans le quartier du Sanitas ou dans celui de Maryse-Basté, où le nombre de familles y est néanmoins moins important. Enfin, des familles algériennes ont parfois trouvé un logement dans l’une des deux cités de transit de l’agglomération, l’une étant située à Ballan et l’autre à Monts (Malicorne). La première n’abritait plus en 1971 que des familles portugaises. La seconde a été détruite en 1972.

Un réseau d’entraide entre les familles

Comme l’explique F. Bourdarias : « La ‘communauté des gens de Hadjadj’ à Tours forme un réseau d’entraide se manifestant par l’accueil des nouveaux migrants, par une aide matérielle en cas de maladie ou d’accident, ou plus simplement en rompant l’isolement de l’immigré et de sa famille : visites le dimanche ou à l’occasion des fêtes musulmanes ». L’installation de familles entières (parfois au sein d’une même cité HLM) favorise un relâchement des liens avec ceux restés en Algérie : les envois de lettres ou d’argent s’espacent voire sont supprimés progressivement. La venue de la femme et des enfants (souvent quatre à cinq ans après le père) amène le travailleur-chef de famille à consacrer la majeure partie de son revenu aux dépenses du ménage et à l’éducation des enfants. De même, certains enquêtés ne sont pas retournés en Algérie depuis plusieurs années. Un témoignage recueilli par nos soins, évoque rétrospectivement — avec sans doute plus de liberté qu’au moment de l’enquête de 1971 — l’étroit contrôle opéré dans chaque famille par les militants du FLN pour le financement du soutien à la guerre d’indépendance : « Ici il fallait cotiser, de la manne d’argent c’est tout. Comme si vous achetiez votre timbre. Il y avait un responsable qui passait, la nuit, tu as payé, tu n’as pas payé… Et si tu ne payais pas, il y avait une équipe qui venait, elle te démonte et voilà. C’était très organisé. De toute manière il fallait que tu payes, point. Et cet argent partait pour soutenir le conflit là-bas. » Et cet homme de souligner les conditions du départ durant la guerre d’Algérie : « Un point important à souligner, c’est qu’il y a des gens qui sont venus pour chercher du travail mais il y a des gens qui sont venus pour chercher de la sécurité. S’ils ne voulaient pas se faire plomber, il fallait venir en métropole comme on disait pour être sûr de ne pas être pris dans des rafles là-bas. J’ai des souvenirs, à sept ans et demi en Algérie, on a fusillé mon oncle devant moi. Il a fallu aussi pour préserver le deuxième frère, le dernier, l’emmener en France. Ici il y a des règles. Là-bas, l’armée, enfin ce qu’ils appelaient le maintien de l’ordre, c’était autre chose ».

A Tours mais aussi à Joué-lès-Tours, en 1971, des cours de français sont donnés en cours du soir au sein des foyers Sonacotra. La moitié des résidants y assistent d’après le directeur du foyer. Les pères de familles, installés dans les cités aux environs, peinent à se déplacer le soir, après le travail. Ils se déclarent parfois prêts à y assister, si toutefois le cours avait lieu dans leur cité. C’est finalement ce qui va être organisé, quelques années plus tard, ETM dispensant bientôt des cours d’alphabétisation dans la plupart des grands ensembles de l’agglomération.
Un taux de chômage non négligeable

D’après les données du recensement de 1968, il est possible d’évaluer les taux de chômage des travailleurs français et étrangers en Indre-et-Loire. Cette année là, le taux de chômage de l’ensemble de la population active du département est de 1,9 %, celui des Algériens est de 3,42 %. Ce taux de chômage des Algériens est supérieur non seulement à celui des Français mais aussi à celui des hommes portugais (0,68 %) ou espagnols (1,8 %). En analysant les données recueillies au Service de la Main d’œuvre de Tours, F. Bourdarias observe qu’en 1971 180 étrangers sont inscrits et constituent 8,04 % des chômeurs – demandeurs d’emploi enregistrés. Sur ces 180 étrangers au chômage, 82 sont Algériens (soit 45,5 % alors qu’ils ne représentent que 12,1 % des actifs masculins étrangers). On a donc bel et bien une sur-représentation des Algériens chez les chômeurs étrangers. Pourtant, beaucoup ne recourent pas aux services de ce bureau de la main-d’œuvre, méconnu ou peu efficace à leurs yeux en matière de recherche d’emploi. D’autre part, beaucoup se retrouvent sans emploi après avoir « quitté volontairement » leur emploi, même si l’auteur montre que les situations sont souvent beaucoup plus ambiguës et complexes. Ils ne peuvent donc prétendre à une indemnité de licenciement ou à une allocation chômage.

La situation en 1971 semble s’aggraver à Tours, les migrants portugais étant embauchés de façon préférentielle aux Algériens sur les chantiers de bâtiment. « Je ne trouve pas de travail, explique l’un d’eux. On se présente à la porte d’une usine. Il y a deux Algériens et trois Portugais. On prend les Portugais et on renvoie les Algériens. Pour le moment, j’habite et je mange avec mes camarades, mais je retournerai bientôt en Algérie si je ne trouve rien » (chômeur de 22 ans). L’auteur signale que 11 enquêtés sur les 55 rencontrés ont effectué des séjours en Algérie allant de trois à six mois, à la suite de licenciements.

Deux autres témoignages: « Je suis au chômage et je ne touche pas d’allocations. Je cherche du travail mais on dit toujours non aux Algériens « pas de boulot ». Il y avait une demande dans les journaux…un déplacement en Allemagne. On n’a pas voulu de nous, on a embauché des Portugais ». (Ouvrier qualifié algérien au chômage, 37 ans).

« Je suis au chômage depuis plus de deux mois. C’est la première fois. J’avais demandé mon compte…alors je ne touche rien…J’avais mis une annonce dans le journal, on m’a écrit et je me suis présenté. C’était presque d’accord. Tu vois bien toi-même que je n’ai pas l’air d’un Algérien… On m’a demandé mon nom, ma carte et tout…Lors, on m’a dit de me présenter plus tard…J’y suis retourné le lendemain, cette fois c’est la secrétaire qui m’a reçu : Monsieur, votre candidature n’est pas acceptée ». Partout c’est la même chose ! » (ouvrier professionnel algérien au chômage, 28 ans).

Le climat politique et économique tendu entre la France et l’Algérie revient plusieurs fois comme explication, lors des entretiens réalisés auprès des chômeurs : « On me dit partout qu’il n’y a pas d’embauche. Je ne sais pas ce qui se passe. C’est peut-être la question du pétrole. Mais ce n’est pas notre faute, on n’y peut rien, nous, les ouvriers » (ouvrier au chômage, 28 ans). Ou encore : « Je vois bien les choses. Nous les Algériens, on ne nous aime pas parce qu’on ne marche pas droit, parce qu’on veut garder notre pétrole. C’était pareil pour l’indépendance. On s’est libérés, alors ça ne va plus ». Un autre : »Pourquoi ? Je comprends bien, on se dispute pour le pétrole, le racisme a augmenté… C’est les patrons qui sont racistes…des Pieds-noirs ». Un autre encore : « On m’a répondu : les bicots n’ont qu’à aller bouffer leur pétrole au lieu de venir bouffer le pain des Français » (manœuvre au chômage). « Reviens avec un bidon de pétrole et on verra pour l’embauche » rapporte un autre.

Le conflit franco-algérien autour de la question pétrolière n’est finalement que le préambule de la crise économique qui va s’abattre sur ces années 1970. Les enquêtés algériens ont raison de s’inquiéter comme ils le font de la dégradation de leurs relations avec les Français en 1971 : « Ca me plaisait bien ici avant, l’ambiance et tout…Maintenant c’est changé, à cause du pétrole, il y a du racisme ». Ou encore : « Avant, ce n’était pas comme ça…Notre vie a changé avec cette histoire de pétrole. Il faudra partir si ça continue… », conclut l’un d’eux.

Le témoignage recueilli en 2008 auprès d’un Algérien de l’agglomération, responsable d’associations souligne quant à lui la stabilité des trajectoires professionnelles de ceux qui ne travaillent pas dans le bâtiment mais dans de grosses entreprises de travaux publics, de voirie et d’enrobage des routes.

Pour bien comprendre l’histoire de la migration algérienne venue s’installer dans l’agglomération tourangelle et, notamment, à Saint-Pierre-des-Corps, il nous faut replacer cette migration dans l’ensemble plus vaste de la région Centre qui comptait plus de 143 000 immigrés au recensement de 2006. Cette présence de migrants n’est ni récente ni conjoncturelle. Depuis le début du 20e siècle, la proportion d’immigrés par rapport à la population totale est loin d’être négligeable dans la région même si celle-ci peine à considérer cet héritage migratoire comme sa propre histoire. Plus récemment, l’immigration des années 1960 à 1980 a contribué fortement, en région Centre, à la progression de la population régionale totale.

Ni région frontalière ni région polarisée par une grosse métropole régionale, on observe historiquement une diversité géographique de l’implantation des immigrations en région Centre, immigration que l’on retrouve aussi bien en milieu rural et agricole, que dans les villes grandes et moyennes mais aussi dans les petites villes industrielles ou encore dans les industries en milieu rural. Les caractéristiques démographiques récentes de la région recoupent en gros les caractéristiques nationales : une immigration de main-d’œuvre d’abord, puis correspondant au regroupement familial, surtout installée en ville, où le poids des populations venues du Maghreb et de Turquie progresse.
L’immigration est aujourd’hui encore méconnue dans la région Centre-Val de Loire, elle ne constitue pas un élément clé de l’histoire locale, contrairement aux quelques régions traditionnelles d’accueil, alors qu’elle est pourtant un élément relativement stable depuis un siècle, du développement économique et démographique local. L’héritage migratoire n’y a pas été valorisé, la région Centre — et plus particulièrement le Val de Loire — étant plutôt perçue comme le noyau constitutif de la construction nationale française et souvent présentée comme le “ berceau de la France ” notamment sur le plan linguistique et culturel. Cette représentation dominante est renforcée par le développement de la vocation touristique de la région au sein de l’espace national, et de l’économie nationale au sein de l’Europe. Certaines nationalités sont aujourd’hui fortement représentées en région Centre-Val de Loire, comme les Portugais, les Marocains et les Turcs qui sont sensiblement plus nombreux parmi les immigrés en région Centre que dans les autres régions. Dans l’agglomération tourangelle cependant, la migration algérienne fut particulièrement importante.

Une géographie d’installation en continuité avec les villages d’origine
L’immigration algérienne, comme bien d’autres migrations historiques, est présente dans la plupart des régions de France, mais sa distribution géographique y a pris la forme d’une répartition en « filières », les populations se regroupant selon leur région, voire leur village d’origine, conséquence des formes d’entraide pratiquées par les migrants. Ces filières sont bien connues des migrants eux-mêmes qui mentionnent, comme ce responsable d’association, que « au début de l’immigration algérienne en France, la plupart des gens de Sétif étaient à Lyon », ou qu’ « il n’y avait que des gens de Mostaganem à Bonneuil-sur-Marne », ou encore que « ce sont majoritairement des Kabyles qui vivent à Marseille ». Cette même logique de filière prévaut également en Touraine, de longue date, destination privilégiée des migrants originaires de Hadjadj.
La narration historique que nous proposons ici s’est construite en plusieurs temps. D’abord, nous avons rassemblé les connaissances disponibles sur la région, l’agglomération et la commune, afin de contextualiser cette migration algérienne de Saint-Pierre dans un corpus de connaissances plus vaste et une profondeur historique nécessaire. Puis, nous avons mené à une enquête de terrain, classique en sociologie, procédant à des entretiens qualitatifs semi-dirigés. Une grande partie du texte qui suit s’appuie donc sur les témoignages recueillis auprès d’une dizaine de personnes, aujourd’hui âgées. Nous les avons généralement rencontrées à leur domicile, prenant le temps d’écouter leurs souvenirs et leur vision de ce passé dont ils sont parfois nostalgiques. Enfin, ces témoignages enregistrés ont fait l’objet d’une retranscription écrite, d’une analyse de contenu et d’une thématisation que nous restituons ici sous forme de récit.

Les contextes locaux de la migration : partir de Hadjadj, venir à Saint-Pierre
La ville de Saint-Pierre-des-Corps dans l’agglomération tourangelle et celle de Hadjadj dans la province de Mostaganem se retrouvent aujourd’hui profondément liées par l’histoire d’une même migration ; la première, comme ville d’installation, la seconde, par l’importance de son émigration. Une rapide présentation de chacune des villes va nous permettre de mieux comprendre l’histoire migratoire de ces nouveaux Corpopétrussiens.

Bosquet/Hadjadj : un village d’émigration
Créée à la fin du 19e siècle par les colons français, cette commune s’est appelée Bosquet— du nom d’un général de l’armée française— jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962. Elle devint alors Hadjadj, en référence à la source fréquentée par les pèlerins qui y faisaient halte sur la route du pèlerinage à la Mecque (le Hadj). Environ 19 000 personnes vivent aujourd’hui dans cette commune et ses treize douars (hameaux) alentours. C’est une commune rurale agricole, viticole avec, également, par sa bordure avec la Méditerranée, une tradition de pêche.
Au début des années 1950 le mouvement d’émigration de Bosquet/Hadjadj vers la France s’amorce. Auparavant, les départs étaient peu nombreux, ponctuels et d’ordre militaire : il s’agissait essentiellement de jeunes hommes appelés sous les drapeaux, pendant les deux guerres mondiales ou pour effectuer en métropole leur service militaire. Ces contraintes militaires furent l’occasion, pour quelques-uns de ces jeunes gens, de rester sur le territoire métropolitain. Mais ce fut surtout au cours de la décennie 1950, au moment de la reconstruction, que la main-d’œuvre algérienne, considérée à l’époque comme française, fut sollicitée. Après 1962, le besoin de main-d’œuvre en France se conjugue à un climat d’instabilité en Algérie au lendemain de l’Indépendance : le mouvement de départ vers la France prend de l’ampleur. Il est difficile d’estimer le nombre de personnes originaires de Hadjadj qui ont émigré durant cette période, mais selon les propos de nos enquêtés, le canton a été alors fortement dépeuplé par les départs vers la France.

Á Saint Pierre, une longue tradition d’immigration
Saint-Pierre-des-Corps, située en bordure de Loire, dans l’agglomération de Tours, fut d’abord une commune rurale, tournée vers le maraîchage avant de prendre, au 19e siècle, une importante orientation industrielle avec le traçage de la ligne de chemin de fer entre Paris et Orléans sur son territoire, ainsi que l’installation d’ateliers de maintenance et de réparation du matériel ferroviaire. Ce développement industriel a entraîné d’importantes transformations urbaines. Développement démographique, d’une part, car, alors qu’elle ne comptait que 724 habitants en 1800, la population de la commune connaît une croissance importante et régulière tout au long du 19e siècle, puis au début du 20e siècle. L’implantation et le développement des activités ferroviaires nécessitèrent une importante main-d’œuvre venue de différentes régions : Périgord, Bretagne, Limousin mais aussi des travailleurs étrangers, notamment Russes, Tchécoslovaques, Polonais. Cet afflux de populations entre la fin du 19e siècle et l’Entre-deux-guerres fait de Saint-Pierre une ville de tradition migratoire qui se poursuivra pendant les «Trente glorieuses ». Ce mouvement s’amplifie après la Seconde guerre mondiale, jusqu’à atteindre 18 313 habitants en 1982. Depuis, la population tend à diminuer légèrement mais se maintient au-dessus de 15 000 habitants.
D’autre part, Saint-Pierre connaît une forte urbanisation, après la Seconde guerre mondiale d’abord, la ville ayant été détruite à 85% par les bombardements ; puis dans les années 1960-70, avec les chantiers d’un important parc d’habitat public établi sur d’anciens terrains maraîchers. C’est le cas des quartiers de la Galeboisière et surtout de la Rabaterie, ou viennent s’installer des familles, venues des communes environnantes, attirées par les logements modernes et confortables. Certains viennent aussi pour le travail trouvant à s’employer aux ateliers ferroviaires ou dans les entreprises locales.

Les circonstances du départ
Bien que peu importante jusqu’aux années 1950, la présence algérienne en France est ancienne, constituée surtout d’hommes, notamment de militaires restés après les démobilisations après la Première guerre mondiale ou de conscrits ayant prolongé leur séjour après le temps de service militaire effectué dans la métropole. Ce fut, d’après les témoignages recueillis, le cas d’un des premiers hommes originaires de Hadjadj installé à Tours en 1919.
Dans l’étude sociologique qu’elle réalisa auprès de travailleurs algériens résidant à Tours dans les années 1970, la chercheure Françoise Bourdarias montre que les immigrés algériens étaient venus en France pendant la guerre d’Algérie et au lendemain de l’Indépendance, à cause du climat d’insécurité qui régnait dans leur pays. Ils étaient aussi poussés au départ par une situation économique détériorée et instable, comme le raconte cet homme arrivé en France en 1968, âgé alors de 21 ans : « tout est massacré, tout est vide, tout est brûlé, tout est cramé… Donc, on n’a rien de rien, à part la terre. Mais la terre, ça ne donne pas pour tout le monde. Donc, fuir à l’étranger pour vivre et faire vivre la famille là-bas. Moi, j’ai laissé mes parents là-bas. Ici, je travaille et j’envoie l’argent à mes parents ».
C’est ainsi que certaines familles, acculées par les difficultés matérielles, encouragèrent leurs fils, jeunes hommes, parfois même très jeunes, âgés de 16 ans seulement, à partir vers la France considérée comme un territoire en paix, où ils seraient en sécurité tout en y trouvant facilement du travail bien payé. C’est le cas de cette mère qui, incitant son fils à partir, puise dans ses économies pour payer le voyage, en l’occurrence son billet d’avion. D’autres racontent au contraire qu’ils ont pris la décision de partir tout seul, voir contre l’avis de leur famille. L’un d’eux par exemple n’informa sa famille qu’au dernier moment, alors même qu’il avait déjà pris la route. Un autre, rencontré à Saint-Pierre, explique qu’il n’avait que 20 ans lorsqu’il décida de partir et envoya quelques jours plus tard une lettre à sa famille pour l’informer de son départ pour la France. Cette pratique n’était pas rare à l’époque, les jeunes gens craignant que leurs parents ne s’opposent à leur projet.
La plupart cependant se lance dans un projet migratoire avec l’aide et pour le bien du groupe familial. Beaucoup partent pour pourvoir subvenir aux besoins de leurs parents, comme l’explique cet homme évoquant son jeune couple : « on n’avait rien pour faire vivre la famille ». Certaines familles sont endeuillées après le conflit et décident d’éloigner ses jeunes hommes pour les préserver : « on était entre deux feux, il y avait treize morts dans la famille. Mon père a dit, il faut mieux que j’aille en France pour être tranquille ». Ainsi, dans de nombreux cas, si c’est un individu qui part, il est porteur d’un projet collectif. La migration elle-même est parfois collective, deux ou trois hommes partant ensemble pour ce périple vers la France, suivant l’un d’eux qui se pose en « guide » pour ses frères, cousins ou neveux.
Pour la plupart des migrants que nous avons rencontrés, qui ont aujourd’hui en 2015 entre 65 et 80 ans, sont ainsi venus avec au moins une personne originaire du même hameau, qu’ils suivent en toute confiance, comme l’évoque cet homme arrivé à 18 ans aujourd’hui retraité : « moi, je ne connaissais rien ! Je le suis, lui ! ». Cette relation de confiance, d’entraide entre gens du même hameau, de la même famille, se révèle ensuite un facteur essentiel dans la réussite du projet migratoire.
Cependant, quelques-uns revendiquent la migration comme relevant d’un choix totalement individuel comme cet homme qui affirme : « j’ai décidé tout seul de partir pour la France, comme ça, à ma tête! J’ai rien dit à mon père, à ma mère, à mon frère, à ma femme ». Il raconte être allé faire établir secrètement une carte d’identité et acheter un billet de bateau. Craignant qu’on ne contrarie son projet, il n’informe son épouse et sa famille que la veille de son départ. Au dernier moment, il propose toutefois à son frère de l’accompagner. Celui-ci déclina sur le moment mais le rejoignit peu de temps après, à Tours. Ceux qui font ainsi le voyage seuls ne sont pas pour autant isolés : ils ont en poche l’adresse d’un ami ou d’un membre de la famille qu’ils vont rejoindre à l’issue du périple, en bateau puis en train généralement. Pour ces migrants, cette partie finale du voyage est la plus délicate car la plupart de ces hommes maîtrisent mal le français ; ils peinent à se faire comprendre, déchiffrent difficilement les horaires de train ou les destinations, au risque de se tromper.

Durant cette décennie de 1950 à 1960, la France est particulièrement attractive à leurs yeux, elle était perçue comme un pays où l’on « vit bien », mieux qu’en Algérie à différents égards comme le disent les lettres envoyées au pays. Dans l’une d’elles, raconte un responsable d’association, le migrant explique à sa famille : « ‘cher cousin, je suis bien arrivé en France. J’ai trouvé le travail, je gagne bien ma vie. Si tu veux ‘photographier’ le pain des enfants, tu viens ! Photographier, si on traduit, en arabe, c’est une manière de dire, ‘gagner’ ». Les migrants trouvent en France des opportunités de travail sur les grands chantiers de la Reconstruction et ceux, nouveaux, des autoroutes et des grands ensembles. Leur venue vient aussi renforcer le développement des industries, notamment automobiles, secteurs requérant une main d’œuvre nombreuse et peu qualifiée dont l’Algérie constitue l’un des viviers.
Cependant, il ne faut pas sous-estimer un autre facteur important qui pèse sur le choix du départ au-delà de l’apport économique indéniable de la migration : la France représentait alors une terre de liberté, de modernité pour des jeunes hommes en quête de découverte et d’aventures. La perspective d’aller au cinéma, de pouvoir sortir, de fréquenter plus librement des jeunes filles sont des éléments évoqués dans les entretiens. L’un d’eux évoque explicitement cette dimension, sans doute un peu difficile à expliciter aujourd’hui, devant leur famille. Sans enjoliver les rudes expériences qui caractérisent souvent ces premiers séjours en France, il faut mentionner cette facette de la migration qui permit à certains de vivre quelques mois avec de jeunes femmes françaises et de découvrir une vie sociale complètement nouvelle. Ces expériences existentielles ne manquent pas de résonner auprès des jeunes restés au pays. La France miroite alors à leurs yeux comme une contrée d’où : « les gens qui reviennent sont bien habillés, bien contents », ce facteur encourageant lui aussi la reproduction de l’émigration.

Venir à Tours : des prémices à l’essor de la migration
Pour bien saisir l’histoire de cette immigration, voyons d’abord les circonstances qui ont amené les premiers migrants de Bosquet/Hadjadj dans l’agglomération tourangelle.
La « communauté algérienne » se constitue progressivement dans l’agglomération tourangelle, au moment de la Reconstruction, entre 1945 et 1962. L’entre deux guerres avait vu une petite implantation kabyle s’établir mais elle exerçait surtout des activités commerciales. Déjà, les recensements de 1931 et 1936 montraient la présence d’« Africains du Nord sujets français » selon la terminologie officielle de l’époque, installés dans la région. En 1931, ils représentent un peu moins de 3% des « étrangers » dans la région avec 884 personnes recensées, essentiellement des hommes, dont 219 pour le seul département d’Indre-et-Loire.
En 1946, les ressortissants de l’« Union française d’Outre-Mer », autre catégorie employée dans le recensement pour ranger les colonisés parmi les étrangers, sont relativement nombreux en Indre-et-Loire. Selon certains témoignages, la venue d’une partie des Algériens se serait faite par l’intermédiaire de la section tourangelle de l’Association des Musulmans Nord-Africains (AMNA), dissoute pendant la guerre, et qui renaît en 1945, installée dans un café du centre-ville. Elle s’adresse à des soldats démobilisés sortant des casernes d’Indre-et-Loire.
Sur cette période de l’histoire migratoire des Algériens dans la région, les migrants les plus âgés ont gardé des souvenirs qu’ils transmettent volontiers dans les récits que nous avons recueillis. Toutefois, comme il est fréquent dans les évocations mémorielles, ces narrations sont parfois approximatives, plus ou moins détaillées. Tous néanmoins partagent le souvenir d’un premier Algérien venu de Bosquet à Tours, qui aurait été un soldat démobilisé, resté en France et dont on avait perdu la trace, considéré à Bosquet/Hadjadj comme mort jusqu’aux années 1950.
Nos interlocuteurs situent un peu plus tard le début du phénomène migratoire lui-même : les premiers migrants quittent Bosquet au début des années 1950, pour aller chercher du travail en France. Il est difficile de retracer avec certitude l’arrivée du « premier de Hadjadj » à cette époque, les propos recueillis sur cette période restent incertains, les souvenirs paraissant parfois anecdotiques et les connaissances parcellaires.

Qui furent les premiers arrivants de Bosquet/Hadjadj à Tours ?

Tous les témoins évoquent la même période : le premier serait arrivé en 1952 ou en 1953. La suite du récit suit deux pistes historiques distinctes :

 

Fuir la froidure strasbourgeoise…

Pour certains, les premiers auraient été deux jeunes hommes arrivés d’abord à Strasbourg qui en seraient partis à cause du climat trop froid et semble-t-il également par manque de travail. Ils seraient alors venus à Tours où ils ont été accueillis par Sayah Chelaghendib, Algérien originaire de Mascara et investi dans l’accueil des migrants algériens. Nous en reparlerons.

 

…ou erreur d’aiguillage

Pour d’autres, le premier migrant serait arrivé par hasard, voire par erreur, à la gare de Tours avec en main, selon les témoignages, un billet de train pour une autre destination ou un billet ne pouvant l’amener plus loin. Ne maitrisant pas le français, la police ferroviaire le met en relation avec M. Chelaghendib qui le prend en charge et l’aide à trouver du travail.

 

Ces premiers migrants, quelles que soient les circonstances réelles de leur arrivée, ont ensuite permis et encouragé l’arrivée de frères, de cousins, d’amis dans l’agglomération.

Dans ces deux versions mémorielles, le hasard semble avoir toute sa place : ce dont on est sûr, c’est que l’agglomération tourangelle n’a pas fait l’objet d’un choix géographique explicite ; l’installation locale des Algériens de Bosquet/Hadjadj à Tours (puis à Saint-Pierre) tient plutôt à la présence et à l’action d’entraide de Sayah Chelaghendib.
On est sûr en revanche qu’un centre d’hébergement ouvre en 1953 rue Raspail et que la gérance est confiée à des « Nord-Africains », jusqu’à sa fermeture en 1960. Le gérant, originaire de l’Oranais encourage ses compatriotes à venir s’installer à Tours ; une facilité d’hébergement qui favorise l’arrivée des Bosquetiens, originaires d’un village proche de celui du gérant.
La croissance de cette « communauté algérienne » est régulière mais néanmoins lente : formée de 180 hommes seuls en 1945, ils ne sont encore que 300 en 1954, ce qui est peu par rapport à la présence algérienne qu’on note dans d’autres villes et régions. Mais la composition de l’immigration algérienne se modifie : le regroupement villageois s’accentue avec l’arrivée des femmes à la fin des années 1950, originaires elles aussi de Bosquet/Hadjadj. Entre 1958 et 1968, 41 femmes arrivent, dont 31 viennent de Bosquet. Ce sont 1017 hommes, femmes et enfants qui la composent en 1962, selon les travaux de F. Dufour. Et au recensement de 1968, L’Indre-et-Loire compte 1192 Algériens (884 hommes et 308 femmes) parmi lesquels une majorité est originaire de Hadjadj.
Comme pour la majorité des migrations de travail venant du Maghreb, les migrants de Hadjadj sont au début surtout des hommes, jeunes, mineurs parfois, célibataires, soit qu’ils le sont réellement, soit que, laissant une épouse et parfois un ou deux enfants au village, ils le deviennent le temps de la migration. Ces jeunes gens, souvent originaires des douars, ces hameaux autour de Hadjadj, sont en majorité issus de familles paysannes, travaillant sur les terres des colons français ou cultivant leurs propres lopins. En France, les perspectives professionnelles restent limitées : en arrivant, beaucoup maîtrisent mal le français, la plupart sont illettrés, même si certains avaient fréquenté, un temps, l’école française du village. De ce fait, ils ne peuvent guère prétendre à d’autres emplois que les moins qualifiés. Ce sont donc en grande majorité, des hommes jeunes, seuls et peu qualifiés qui prennent le chemin de l’émigration vers la France. D’autres, moins nombreux, étaient déjà qualifiés en Algérie, dans des métiers du bâtiment par exemple.
Sur le plan administratif ou financier, les migrants n’ont guère rencontré d’obstacles. Pendant la présence française en Algérie et même au-delà, les formalités se limitaient à la possession d’une carte d’identité facilement délivrée à la mairie. Jusqu’au début des années 1970, les relations privilégiées entre la France et l’Algérie, même après le départ des Français, ont permis, aux ressortissants algériens de circuler facilement entre les deux pays, ce qui fait dire aux anciens émigrés : « c’était facile, pas besoin de papiers, juste la carte d’identité ! ». La plupart ont ainsi quitté le pays, en compagnie d’un frère ou d’un ami, sans contrat de travail, confiants à leur arrivée à Marseille dans la solidarité entre compatriotes ou familiale et dans leur avenir en France. La traversée de la Méditerranée par bateau se fait sans problèmes quoique sans confort mais pour un prix modique. Cet ancien se souvient « des bateaux de l’armée, sans sièges, sans rien, pour le transport des chevaux ».
Les villes de destination possible sont a priori nombreuses et elles sont envisagées par les migrants pour les opportunités de travail qu’elles sont censées offrir, mais c’est l’interconnaissance qui souvent prévaut dans ces trajectoires qui mènent ces hommes loin de chez eux.

Le temps de la mobilité
Les itinéraires en France varient selon les personnes rencontrées. Certains ont circulé dans différentes régions au gré des opportunités d’emploi et des connaissances, en Île de France, à Perpignan, Strasbourg, Nice, entre autres. Une mobilité également facilitée par leur situation de célibataires et la période de plein emploi. Quelques uns s’installent dans la ville de leur première destination, à Tours.
Si les parcours varient, tous partagent— comme pour les migrants d’autres pays — l’idée d’un séjour temporaire en France, et d’un retour définitif au pays après quelques années : « quand on est jeune, on ne pense pas beaucoup. Je pensais rester en France un an ou deux, mais pas jusqu’à aujourd’hui » dit cet homme arrivé à 28 ans. Pour tous, le séjour en France est conçu comme une parenthèse plus ou moins longue : une période mal définie, allant généralement d’un à trois ans, avant le retour définitif avec un pécule promettant une vie meilleure dans un pays en pleine mutation.
Or, comme c’est le cas pour de nombreux autres immigrés, le séjour en France se prolonge : les conditions de vie en Algérie ne s’améliorent guère, l’éloignement de la famille devient trop long. Beaucoup parviennent à faire venir femmes et enfants, les logeant difficilement au départ. Cette période de regroupement familial va sonner la fin des « baraques », des hébergements précaires que beaucoup avaient acceptés jusque là. C’est le cas, par exemple, de cet homme arrivé en France en 1968 qui a vécu au foyer de l’Alouette à Joué-Lès-Tours, jusqu’à son mariage au pays pendant une période de vacances : « je me suis marié en 1972, au mois d’août, et j’ai laissé ma femme là-bas, chez mes parents. Je suis venu ici, j’ai repris mon boulot, j’ai fait le nécessaire pour trouver un logement, pour ramener ma femme. J’ai trouvé un logement particulier, j’ai fait les papiers pour la préfecture et tout ». L’épouse arrivera près d’un an plus tard, une fois les formalités administratives accomplies et le logement assuré.
Alors, avec les habitudes prises en France mais surtout avec les enfants qui naissent ou grandissent sur place, le retour devient problématique et l’installation se fait durable.

Une solidarité entre villageois et compatriotes
Un atout dans la migration : des liens familiaux et villageois spontanés…
Un fort attachement à la collectivité, familiale et villageoise se manifeste dans les propos de nos interlocuteurs. La famille semble avoir eu, on l’a vu, un poids essentiel dans le choix du départ. Les liens familiaux ou villageois sont aussi particulièrement importants pour trouver un logement et un travail. La destination de la Touraine correspond d’abord à l’opportunité d’y retrouver un ou plusieurs membres du village ou du clan comme le montre cet homme qui explique son départ du Sud de la France où il avait pourtant trouvé un travail et un logement satisfaisants : « J’étais jaloux des gars de Hadjadj ici à Tours. J’étais tout seul à Perpignan. Je suis venu pour voir tout le monde. Je connaissais tout le monde ici à Tours ». Un autre, lui aussi resté dans le sud de la France, explique qu’il a été vigoureusement incité à venir à Tours pour ne pas rester « seul », c’est-à-dire loin de ses liens familiaux ou villageois.
Entre 1950 et 1975, période de plein emploi, la question du travail est facilement résolue : où qu’ils aillent, les chantiers ne manquent pas et ces ouvriers non qualifiés, trouvent à s’embaucher rapidement par l’intermédiaires des frères, oncles, amis, déjà sur place qui, constituent ainsi des relais précieux à maints égards : l’hébergement, l’initiation à la vie en France, le travail. Tous les témoignages recueillis soulignent cette solidarité entre gens du même village, qu’illustre parfaitement le récit de cet homme accueilli à son arrivée en France par un restaurateur originaire de Hadjadj : « Il me dit : ‘mon fils, tu viens d’où ?’ Je dis : ‘je viens de Mostaganem’ il m’a dit Mostaganem même ou Hadjadj ?’ j’ai dit ‘de Hadjadj’ il m’a dit : ‘tes parents, comment ils s’appellent ?’ J’ai dit, ‘voilà, je suis le fils de…Voilà, mon père comment il s’appelle’. Il m’a dit : ‘c’est vrai ? C’est mon copain, je le connais très bien ! C’est ton père là bas, moi, je suis ton père ici ! Mon fils, tu n’as jamais de problèmes. Tu vas manger chez moi, dormir chez moi, tu auras tout ce qu’il faut ! Je connais ton père, il est quelqu’un de bien, capable et tout». De même cet autre homme raconte : « Dans le temps, on arrive ici, quelqu’un qui ne connaît rien, il n’y a pas de travail, pas de manger, qu’est-ce qu’on fait ? Je l’emmène chez moi. Moi, je dors sur le matelas, il dort à côté, par terre. Il mange avec moi, dort chez moi jusqu’à ce qu’il trouve du travail… Moi, ça m’est arrivé. J’habitais place de Strasbourg, je l’ai amené avec moi, comme il n’avait pas de travail, il est resté un an avec moi. On ne laisse pas les copains, les amis ».
Ces témoignages montrent que les liens amicaux et familiaux sont essentiels dans la réalisation de la première étape de la migration et le restent sur la durée.

Nous verrons plus loin que ces relations privilégiées entre migrants venus de Hadjadj vont se maintenir dans le temps, jusqu’à jouer le rôle d’un système d’entraide entre les migrants d’une part, mais aussi avec les familles restées au village, avec qui les relations sont aujourd’hui encore souvent très denses.

… aux liens plus formels entre Algériens
Parallèlement à ces liens entre villageois, une solidarité plus formelle entre Algériens existe également. On retrouve ici un acteur important de la migration algérienne en Touraine Sayah Chelaghendib, qui crée en 1952, une association qui tente de structurer la « communauté » : il s’agit de l’Association d’Entraide Nord-Africaine (AENA) dont l’action va être soutenue par les autorités locales convaincues de la non-appartenance de son fondateur aux mouvements indépendantistes.
Il raconte qu’en 1946, il arrive à Tours, invité par un ami juif qui l’invite à son mariage. Au lieu du séjour d’une semaine tel qu’il était prévu, il reste travailler comme salarié d’abord (peintre en bâtiment) puis devient son propre patron dans le bâtiment en 1956. Il développe rapidement des activités sociales, de façon à organiser l’accueil des migrants qui arrivent de plus en plus nombreux d’Algérie, souvent seuls et non qualifiés.
A l’aide de précieux contacts avec diverses personnalités locales (dont les Pères Gaston Pineau et Raymond Gautier notamment), il crée l’association Entraide Nord Africaine en 1952 qui a pour objectif d’abord l’hébergement. Elle lui permet d’ouvrir, dès 1953, un centre d’accueil et de secours dans le quartier du Sanitas. Puis en 1958, il ouvre le centre Jolivet qui deviendra ensuite le foyer Sonacotra. En 1965, les pouvoirs publics confient à S. Chelaghendib l’accueil de l’ensemble des étrangers arrivant à Tours, l’AENA devient l’association d’entraide aux travailleurs nord-africains et étrangers.
Nombre de nos témoins évoquent l’aide apportée aux personnes originaires de Hadjadj par S. Chelaghendib, dans diverses démarches administratives : recherche d’emploi, logement, et ses conseils avisés.

Du travail avant tout !
Pour les jeunes gens en partance, la France représente on l’a vu une promesse d’enrichissement, de liberté, de vie meilleure. Promesse tenue à certains égards mais au prix de conditions de vie souvent plus rudes que celles qu’ils avaient imaginées. Leur nouvelle vie en France est désormais rythmée par un travail qui occupe entièrement les journées de la semaine, avant de rentrer le soir dans un logement souvent très précaire au départ.

Dès leur arrivée, les jeunes gens trouvent facilement à s’embaucher : « le boulot, il y en a plein, c’était comme les champignons » raconte cet homme arrivé à Tours en 1956. Certains commencent à travailler le lendemain même de leur arrivée. Comme dans les autres régions, le travail ne manque pas en Touraine, mais il est circonscrit au secteur du bâtiment et des travaux publics et le plus souvent aux postes les plus bas. En 1952, 47,5 % des Algériens travaillent dans le bâtiment et sur un total de 120 ouvriers, 79,2 % sont manœuvres. Ils constituent une main-d’œuvre flottante et leurs perspectives d’emploi dans la grande industrie locale sont faibles – seules deux sociétés ont plus de 500 ouvriers dans la période de l’immédiate après-guerre et elles ne recrutent pas de main-d’œuvre étrangère, se satisfaisant du vivier local de population peu qualifiée venue des campagnes environnantes.
Compte tenu de cette configuration de l’emploi, mais aussi d’une migration envisagée comme temporaire, les séjours des Algériens en Touraine sont d’abord assez courts, quelques mois en moyenne. Les premières années, les migrants sont à l’affût des meilleures opportunités de travail, ils restent donc mobiles, ne s’installent pas et économisent une grande partie de leurs salaires pour leur famille et dans l’optique du retour. Jusqu’au milieu des années 1970, l’offre d’emploi est telle que les migrants n’hésitent pas à quitter un emploi pour partir en quête d’un poste moins pénible ou pour un meilleur salaire : « les patrons cherchaient les ouvriers, même dans la rue ! » raconte cet homme arrivé comme la majorité sans contrat. Il a rapidement trouvé à une embauche comme maçon d’abord à Tours puis est parti travailler pour un meilleur salaire sur un chantier au Mans.

Pour certains, cette mobilité professionnelle dure dans le temps et les amènent à circuler au-delà du département ou de la région. Les plus anciens racontent ainsi leurs pérégrinations d’un chantier à l’autre, évoquant une sorte de « tour de France des chantiers » comme le suggère l’itinéraire de cet homme travaillant dans le bâtiment qui, collectionnant les postes de maçon puis de couvreur, égrène les villes et les régions où il a travaillé : « Le Mans, Savoie, Bordeaux, Poitiers, Limoges, dans le Nord, la Bretagne ». Plus rarement, certains acceptent des déplacements à l’étranger, comme cet homme envoyé par une entreprise parisienne sur un chantier de construction en Iran pendant deux ans. Ces récits montrent à quel point la vie de ces « célibataires » migrants est dédiée au travail, laissant peu de place au temps libre : « on travaillait 80 heures par semaine ! pour 400 francs, une misère ! » se rappelle un homme arrivé à 17ans ½ ; « on travaillait 24 heures sur 24 ! J’ai travaillé 22 mois de 5 heures du matin à 10 heures du soir ! » se souvient cet autre homme recruté sur un chantier de construction d’un parking, voulant ainsi souligner l’ampleur et l’intensité de la tâche. La plupart enchaîne de longues journées de manœuvre : « la pelle, la pioche, c’est tout ! » résument-ils aujourd’hui, avec le recul du temps. Sur les chantiers, on leur réserve souvent le « gros-œuvre », les tâches nécessitant peu de qualifications voire celles qui sont particulièrement pénibles. Avec le temps cependant, et l’expérience, certains se forment et parviennent à briguer des emplois plus qualifiés, de plâtrier par exemple.
Pour d’autres, le défi est plutôt de prendre un emploi stable : certains trouvent par exemple dans les ateliers de maintenance ferroviaire à Saint-Pierre-des-Corps, dans le service de nettoyage de la gare ou encore dans la compagnie de bus tourangelle.

Seul puis en famille : l’évolution des conditions de logement
Dès 1945, certains s’installent dans le centre de la ville de Tours, en ruines, et vont y conserver longtemps des lieux d’hébergement et de sociabilité, notamment dans le quartier des Halles. Il y a d’abord le restaurant d’Ali, un Kabyle vivant à Tours depuis les années 1940, où les immigrés vont manger « un couscous réputé dans toute la région » nous a-t-on assuré. Beaucoup se souviennent aussi de deux cafés-hôtels tenus également par des Algériens, le café Amar et le Café Gharoubi qui, outre l’espace de rencontres qu’ils permettent, proposent couvert et gîte, quelques chambres à l’étage, le temps de trouver un logis moins vétuste. Ces deux cafés semblent gravés dans la mémoire de la plupart des personnes que nous avons rencontrées. Elles insistent sur le rôle d’abri de première nécessité que jouaient ces cafés : « les gens qui sont venus ici qui n’avaient pas de cousins et pas de cousines, vont chez lui. Parce que c’est facile de trouver une chambre pour dormir, et pour manger, pour tout. C’est facile ! » Mais la suite du témoignage de cet ancien migrant est teinté de reproche : « Il a profité des gens, oui, je dis la vérité, ils ont bien profité de nous. Amar… Mais pas moi, je n’ai pas mis les pieds dedans parce que lui, il louait des chambres… Quand on loue des chambres, lui, en bas, il avait le café, il avait tout. On travaillait, tout ce qu’on ramasse d’argent, tout ça, c’est pour lui ! Tu manges chez lui, donc, à la fin du mois, il ne reste pas… le gars qui descend là-dedans, il est obligé de prendre quelque chose. Donc, ce qu’il gagne, ce sera pour lui (le patron du café-hôtel) » .
Dans les années 1950 et 1960, un certain nombre de ces jeunes gens vivent dans des baraques de chantier, ou dans des cabanes sur les terrains maraîchers, dans les communes environnantes. Certains se souviennent aussi des « préfabriqués » place de Strasbourg qui, pendant un temps, a permis à certains ouvriers de trouver un gîte. D’autres ont vécu près de Joué-lès-Tours, à Château Gaillard, dans des caravanes d’occasion achetées collectivement et installées sur un terrain prêté par la commune. Un homme vivant aujourd’hui à Saint Pierre en a gardé un vif souvenir : « on a acheté une caravane, on était quatre et on dormait là dedans, à Château Gaillard. Quatre Algériens de Hadjadj, c’était comme la famille… On a la gazinière, tout ce qu’il faut, un frigo… On a les toilettes, dehors. Parce qu’on était beaucoup là-bas, au moins cinq ou six caravanes… Il y en avait deux ou trois qui habitent avec des enfants. Avant, il n’y avait pas de logements ». La commune avait apporté des aménagements pour ces habitants : des toilettes collectives et une ligne électrique mais les conditions sanitaires restaient rudimentaires, il fallait aller aux Bains Publics à Tours pour se laver. D’autres enfin évoquent l’hébergement que proposaient les foyers, notamment le foyer Jolivet au centre ville de Tours, le plus ancien, décrit comme un cadre peu attrayant : des chambres de quatre lits et une ambiance parfois tendue entre les résidents, qu’évoque cet homme alors âgé de moins de vingt ans : « … on était tous entassés là-dedans. Et je me rappelle, par exemple, la famille fait héberger les copains. Et ça, c’était interdit. Nous, on rentrait, on dormait et vers minuit, la police venait et on devait dégager. Je me rappelle toujours, c’était la misère, hein ! On dormait, douze, treize dans les chambres. Des fois, on dormait dehors ! N’importe où. C’était dans les années 64/65 ». Un autre se souvient : « J’ai été dans le foyer pendant un an. J’ai trouvé que c’était pas bien parce que quatre par chambre, c’est impossible pour vivre dedans ! ». Cet homme a finalement quitté les lieux pour aller au foyer de l’Alouette à Joué-Lès-Tours, ouvert en 1970, préférant, même à un coût plus onéreux, la tranquillité d’une chambre individuelle.
Dans les premiers temps, la perspective du retour permet à ces hommes d’accepter et de dépasser ces mauvaises conditions de vie, tandis que certains insistent aujourd’hui sur l’insouciance de la jeunesse qui rendait la vie plus facile : « on était jeunes, on jouait au ballon » se rappelle cet homme, qui fut logé dans les baraques de chantier de son entreprise à Ballan.
Au cours des années 1960, l’arrivée des familles constitue un changement radical dans les modes de vie de ces hommes qui avaient pris l’habitude de vivre chichement. Certains, notamment ceux qui occupaient les baraques de la place de Strasbourg, partent s’installer à La Riche, à partir de 1957, au moment de la construction des barres d’immeubles de la cité des Sables. Cette période correspond en effet à l’arrivée des familles, qui vont pouvoir ainsi être mieux logées. A la cité des Sables au début, les logements offraient un confort limité comme le raconte cette femme arrivée enfant en France et qui, de la région parisienne est venue en Touraine en 1969 pour y suivre son mari : « il faut savoir qu’à La Riche, ils n’avaient pas de radiateurs. Ils se chauffaient avec du charbon. Donc, moi qui venais de Paris, parce que j’avais un radiateur, ça m’a impressionnée ! Mais j’aimais bien, moi, allumer le feu… ça me faisait rappeler une cheminée …Je me souviens que tous les matins, il faisait froid, il fallait allumer le poêle, chercher le charbon. C’était une corvée pour eux ».
Ceux qui n’ont pas la chance d’accéder au logement social, très demandé, sont contraints de se tourner vers la location privée et le service d’une agence immobilière. Ils grèvent fortement leur budget avec des loyers beaucoup trop élevés. L’un d’eux explique qu’il devait faire de nombreuses heures supplémentaires pour payer 50 600 francs pour son appartement alors qu’il ne gagnait normalement que 70 000 francs. Plusieurs évoquent aussi la précarité des baux signés annuellement, et qui ne permettaient pas à la famille d’envisager l’avenir sereinement.

Locataires à Saint-Pierre, propriétaires à Hadjadj
Les personnes que nous avons rencontrées partagent une situation singulière : elles sont locataires en France et propriétaires en Algérie. Si les enfants accèdent aujourd’hui à la propriété, les parents sont restés locataires de l’habitat social. La plupart vit encore dans le même quartier de leur arrivée, auquel ils sont désormais attachés. Certains néanmoins déménagent, quittent le grand F5 une fois les enfants partis, pour s’installer dans un appartement plus petit. D’autres choisissent de s’installer dans un pavillon avec jardin, profitant de la rénovation urbaine. Mais ces déménagements ne provoquent pas toujours une grande rupture : certains nous montrent ainsi par la fenêtre leur ancien logement, ils ont simplement changé de rue, souhaitant rester à proximité de leur voisinage, dans le même quartier.

La plupart des hommes de cette génération expliquent qu’ils ont refusé d’accéder à la propriété en France, en partie pour des raisons financières. L’un d’eux évoque de longs débats avec son ami qui l’y encourageait à investir dans l’achat d’un terrain bon marché, estimant qu’ils étaient désormais installés durablement : « M. Sayah, si je l’avais écouté, peut-être je suis propriétaire de la maison. Je ne voulais pas écouter et puis, c’est les moyens qui comptent. Parce qu’avant on ne gagne pas beaucoup. Il m’a dit : « tiens, M. M., il y a un terrain à la Ville aux dames » c’était pas cher, 5fcs le m². Il m’a dit : « tu vas acheter 200, 300m et tu fais un baraquement et tu construis tout doucement » J’ai dit : « moi, j’ai pas d’argent. J’en ai même pas pour manger ! » Il m’a dit : « écoute, tu vas faire un emprunt à la banque et moi je te garantis ». J’ai dit non. Eh ben voilà ! Non, je ne voulais pas. J’y arrivais pas. Je gagnais 700 francs par mois avec quatre enfants et nous deux, moi et ma femme et le loyer !… Ah, si j’avais de l’argent, j’achète » . Aujourd’hui, avec le constat de l’installation, certains le regrettent : « Ah on a fait une connerie ! Si j’avais acheté une maison ici, moi, ça fait longtemps qu’elle serait déjà payée. Et là, maintenant, le loyer reste toujours sur notre dos ! »

Le mythe du retour a ici été certainement très prégnant : la maison familiale au pays est restaurée ou construite à neuf, souvent très grande, prête à accueillir le retour des émigrants. Mais aujourd’hui, on ne parle plus de ce retour définitif au pays, et la maison n’est occupée qu’au moment des vacances, ou par les retraités qui y séjournent quelques mois par an. Certains prêtent la maison (une partie souvent) à des membres de la famille qui, bénéficiant des largesses de ces parents désormais lointains, remplissent également un service de gardiennage. L’âge avançant et la santé parfois défaillante, certains espacent les séjours ou les raccourcissent, conscients que leur ancrage est davantage en France, auprès de leurs enfants, qu’au pays où, disent certains : « on ne connaît plus personne là-bas, tout le monde est ici (en France) ». Ils évoquent également les relations parfois peu amènes avec certains habitants de Hadjadj, notamment les commerçants qui, les percevant comme des gens fortunés, haussent les prix à leur arrivée.
Phénomène prévisible mais néanmoins un peu insolite pour ceux qui le vivent, les périodes de vacances rassemblent à Hadjadj les émigrés de Saint-Pierre et, au dire de certains, on retrouve alors là-bas le voisinage et la sociabilité à laquelle sont habitués ces désormais Corpopétrussiens. On y regarde la télévision française, par exemple, et surtout on partage des moments de convivialité qui prolongent ceux de Saint-Pierre.
Vivre à Saint-Pierre : du hasard de l’arrivée au choix d’y rester
Les premières familles originaires de Hadjadj arrivent à Saint-Pierre essentiellement par le biais de l’attribution de logements HLM, au moment de la démolition de la cité des Sables à La Riche. Ces familles souvent nombreuses (cinq à neuf enfants) y apprécient des appartements jugés « modernes », adaptés à leur taille. Pour ceux qui travaillent à la gare, c’est l’opportunité de se rapprocher de leur lieu de travail.
Lorsqu’on évoque avec ces personnes aujourd’hui âgées leurs trajectoires résidentielles, Saint-Pierre constitue une étape, vécue comme finale, où la famille parvient à trouver un certain confort, des appartements lumineux et spacieux par rapport à ce qu’ils ont connu auparavant comme l’illustre le témoignage de cette femme qui a vécu le déménagement avec ses parents : « c’était plus exigu chez mes parents, l’appartement qu’ils avaient à La Riche, des anciens aménagements. Alors, pour eux, quand ils sont venus à Saint-Pierre, c’était bien. C’est vrai que c’est des beaux appartements. Jusqu’à présent, avec des placards, une grande salle de bain… Déjà, c’était plus lumineux, la construction, c’était pas pareil, les appartements, il n’y avait plus de feu ; on trouvait qu’il y avait plus de confort ».
Les avantages matériels qui alliaient des appartements spacieux à des loyers modérés, conjugués à un climat social bienveillant, incitent d’autres familles de Hadjadj à choisir de venir vivre à Saint-Pierre. Un de ces anciens ouvriers explique qu’il est venu s’installer à la Rabaterie avec sa famille à la demande expresse de son épouse, qui souhaite se rapprocher des autres familles : « On m’avait donné un appartement à Tours Nord… Après, ma femme est venue, elle ne veut pas rester là-bas parce qu’elle ne connaît pas, elle ne comprend pas, elle était toute seule et elle a dit : ‘ je veux aller chez les voisines arabes comme moi !’ J’ai déménagé à Saint-Pierre en 1973. Depuis 73 jusqu’à maintenant, je suis à Saint-Pierre ». Ces familles semblent y avoir construit des relations de proximité et d’entraide entre « originaires », reconstituant à distance un certain entre-soi entre familles venues du même village. En 2014, un de nos interlocuteurs compte ainsi une douzaine de familles originaires de Hadjadj dans son propre immeuble. A ses yeux, comme pour l’ensemble des personnes âgées que nous avons rencontrées,  la grande majorité des familles algériennes installées à Saint-Pierre sont originaires de Hadjadj ou de ses hameaux environnants.
Au-delà des relations étroites entre familles algériennes, la plupart ont apprécié rapidement l’atmosphère familiale du quartier de la Rabaterie, des relations nombreuses avec les voisins, accueillants. Les témoignages sur ce point sont consensuels : « Français, Portugais, toujours gentils avec moi, ‘bonjour, bonsoir’. Les enfants jouaient ensemble, toujours ensemble » relate ce père de famille, soulignant la qualité des relations de voisinage dans les années 1970. Les femmes, souvent mères au foyer et donc plus présentes dans le quartier que les hommes qui travaillent à l’extérieur, estiment également qu’une bonne ambiance régnait dans le quartier à cette époque : « il y avait de tout, de tout ! On avait une amie française, ma belle-mère s’entendait très bien avec elle. Les enfants venaient chez ma belle-mère. Il y avait des voisins, des Français, des Espagnols, des Marocains. Il y avait un mélange de tout, ils s’entendaient très bien ! ».
Si la période des années 1990 a assombri ces bons souvenirs avec son lot de conflits, de trafics et de violences urbaines, il semble qu’aujourd’hui la vie est redevenue paisible. La « communauté algérienne » reste importante et semble avoir choisi, avec le temps, de rester dans une commune qui les a bien accueillis.

L’enracinement à Saint-Pierre
Aujourd’hui, en 2012, plus de 3 300 personnes vivent dans ce quartier de la Rabaterie. Les familles d’origine algérienne sont désormais complètement insérées dans le tissu local, participant de façon diversifiée à la vie locale, aux associations notamment, briguant parfois des postes dans les services municipaux, devenant employés ou commerçants, rejoignant la population retraitée, etc. L’absence de statistiques, notamment par le jeu de l’acquisition de la nationalité française limite les possibilités d’une stricte évaluation quantitative de la population de Hadjadj vivant à Saint-Pierre. Toutefois, nos interlocuteurs recensent autour d’eux au moins une trentaine de familles algériennes de leurs connaissances vivant à Saint-Pierre et venant de Hadjadj et estiment cette population à plusieurs centaines de personnes, toutes générations confondues.
Si les plus âgés sont longtemps restés dans les appartements du quartier de la Rabaterie, depuis une vingtaine d’années, certains sont maintenant installés dans des maisons. Récemment, en effet, quelques familles sont parties s’établir dans les nouveaux pavillons de la Rabaterie, attirés notamment par la possibilité de disposer d’un petit jardin attenant, où les femmes cultivent des plantes aromatiques (menthe, coriandre, etc.). De plus, nous explique-t-on, aujourd’hui, les gens de Hadjadj ne sont plus seulement dans le quartier de la Rabaterie mais « sont éparpillés sur toute la commune », notamment avec les jeunes adultes qui, eux n’hésitent pas à acheter ou faire construire une maison sur le territoire communal et aux alentours.
L’enracinement est lisible également dans une activité associative spécifique, recensée dans le répertoire des associations de la ville, qui contribue à inscrire cette migration désormais historique dans le tissu social de Saint-Pierre. Créée en 1998 par le fils d’un migrant de Hadjadj, « Solidarité aux familles » est une association culturelle qui a pour objectif d’aider les familles en difficultés dans diverses circonstances. Ce peut être notamment le cas lors d’un décès, l’association apportant alors une assistance dans les démarches administratives, l’organisation des obsèques et, éventuellement, le rapatriement du corps en Algérie. Elle s’adresse aussi aux jeunes générations et leur dispense des cours d’arabe et du soutien scolaire. L’association a acquis en 2009 une maison à la Rabaterie qui abritera le futur centre culturel et où, d’ores et déjà, une salle de prières a été ouverte ; elle facilite la pratique du culte pour les personnes âgées qui, auparavant, étaient obligées de se déplacer au centre ville de Tours.
Si la vie se déroule à Saint-Pierre, le décès sonne l’heure du retour au pays pour la grande majorité des personnes. C’est une volonté unanime chez les personnes les plus âgées, partagée parfois par leurs enfants devenus aujourd’hui adultes. L’inhumation dans le cimetière de Hadjadj reste à ce jour une pratique majoritaire en dépit du carré musulman qui existe au cimetière municipal et qui ne compte en 2014 qu’une vingtaine de tombes musulmanes, parmi lesquelles très peu de personnes originaires de Hadjadj. Les raisons d’une telle désaffection sont doubles : il y a d’abord le fait que les gens sont très attachés à la tradition d’obsèques dans le cimetière du village, où sont déjà enterrés les parents, considéré comme « la terre des ancêtres ». Ensuite, certains estiment que l’espace réservé dans le cimetière de Saint-Pierre ne répond pas aux critères d’inhumation requis par la tradition musulmane. C’est par exemple le point de vue de cet homme âgé qui, décrivant ce qu’il a pu observer à Lyon où est enterré un membre de sa famille, compare avec le cimetière de Saint-Pierre et considère que l’espace réservé aux musulmans n’est pas assez séparé des autres tombes : (à Lyon) là c’est les musulmans, là c’est les chrétiens, là c’est les Français, là c’est les Juifs, c’est à côté, c’est à part. Chacun a son espace, il n’y a personne qui rentre. Les musulmans, sont tout seuls. Il y a l’écriture arabe, il y a les machins, on dirait le bled, c’est pareil. C’est comme l’Algérie. Mais ici, non. Ici à St Pierre, à Tours, il n’y a pas ça ! ».
Enfin, un dernier élément joue en défaveur d’une inhumation locale : à St Pierre comme dans tous les cimetières en France, la concession est achetée pour une durée limitée ce qui rompt avec la tradition musulmane et avec les habitudes en Algérie. Le fils de l’homme âgé précise : « je crois que dans des villes comme Lyon, ils sont très à cheval sur ça et lorsqu’une concession est finie, c’est la mosquée de Lyon qui reprend. C’est elle qui paie après, pour pas qu’ils y touchent ». Le père poursuit : « voilà, mais ici, nous, on n’a pas de ça. Dans quinze ans, ils vont enlever ça pour mettre les autres. Ils vont les brûler ou les mettre… C’est pas pareil. C’est pas la même chose… à Lyon, c’est bien organisé ». Si l’inhumation au pays est encore la règle, elle n’est pas toutefois sans préoccuper les parents âgés qui s’interrogent, conscients qu’une grande partie de la famille vit désormais durablement en France : « c’est vrai, c’est pas facile. Comme les parents sont là-bas, eux (les enfants), ils sont là. Ils ne peuvent pas aller voir les parents tous les … Moi, j’ai pensé à ça, j’ai toujours ça dans ma tête ! » Pour les enfants, dont les séjours à Hadjadj sont moins fréquents que ceux de leurs parents retraités, la distance constitue un obstacle au recueillement et à l’accomplissement des rites funéraires comme le montre la réflexion de cette jeune femme née en France, qui compare la situation de ses grands-parents dont l’un a été inhumé en France : « (à Lyon) on va y retourner pour grand-père, on y avait été l’année dernière, on peut, c’est vrai qu’on va y aller cette année mais pour nous, les petits enfants, si c’était en Algérie, comme la tombe de mon autre grand-père, on ne pourrait pas y aller si souvent… ça fait des années que j’ai pas été en Algérie ». Le constat d’une vie de plus en plus ancrée en France tout autant que le souhait de garder une proximité avec les défunts amène les familles à envisager une transformation des pratiques, perceptibles sans doute dans les prochaines décennies.

Renforcer les liens avec le pays et Hadjadj
Les familles désormais installées en France gardent néanmoins le contact avec le pays, le village. La maison familiale, les tombes des parents, les membres de la famille restés là-bas contribuent à entretenir les liens. Ils ont tendance toutefois à se distendre avec la disparition des plus âgés et l’ancrage définitif des nouvelles générations en France. Cependant, les migrants et leurs enfants restent attentifs à l’actualité et aux évènements qui se déroulent de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie et au Maroc, mais aussi plus précisément à Hadjadj. Ils ont ainsi mené des actions d’aide et de solidarité lors de récentes catastrophes naturelles. Il faut ici souligner le rôle important de l’Association des Algériens de Tours Val de Loire, créée en 1996 à Tours et dont les adhérents sont en majorité originaires de Hadjadj. Elle a, par exemple, organisé une grande collecte de dons, de médicaments, de matériel pour venir en aide aux sinistrés du séisme qui toucha la région algéroise en 2003. Plus récemment, en 2015, son président s’est déplacé en Espagne pour identifier les corps des jeunes gens qui ont fait naufrage en tentant de traverser la Méditerranée sur une embarcation de fortune.
Les Algériens de Touraine s’impliquent également dans des actions de développement de leur commune d’origine. Ils ont ainsi collectivement participé à la construction d’une école, d’un hôpital, d’une maternité, développant ce qu’on pourrait appeler une citoyenneté transnationale. En 2005, l’association des Algériens de Tours-Val de Loire a décidé de mettre en œuvre un projet de coopération avec des associations de Hadjadj. Un contrat d’amitié a ainsi été signé entre des associations de Hadjadj et celle des Algériens de Tours-Val de Loire pour la création d’un espace informatique et multimédia, et l’ouverture d’une bibliothèque pour tous. Ce projet comprend, pour l’association des Algériens de Touraine, un volet « français » consistant à promouvoir le dialogue entre la France et l’Algérie, et affirmant la nécessité de « porter un regard neuf, plus objectif sur la diversité sociale et culturelle en luttant notamment contre les préjugés », en impliquant plus particulièrement les acteurs d’Indre-et-Loire et de la région Centre dans : « la mise en place conjointe d’actions d’intérêt général et utile à la population de Hadjadj dans le but d’œuvrer pour un rapprochement des populations françaises et algériennes ».
Les migrants et leurs descendants sont aussi sollicités dans le développement touristique de la région de Mostaganem. Certains d’entre eux, en lien avec ceux restés ou retournés à Hadjadj, proposent aujourd’hui des séjours et visites touristiques qui sont conçues pour les français ne connaissant pas l’Algérie. Les familles de Saint-Pierre ne manquent pas d’en parler à leurs connaissances françaises, encouragées à visiter ainsi l’Algérie et plus particulièrement, la région de Mostaganem où, leur assure-t-on, ils seront bien accueillis !

Pour conclure
Si les « gens » de Hadjadj furent autrefois une migration de jeunes hommes seuls envisagée comme temporaire, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les conditions particulièrement difficiles des premières années en France sont du passé : aujourd’hui, les familles se sont réunies, puis installées, développant des pratiques sociales qui manifestent un ancrage incontestable, comme c’est le cas à Saint Pierre, commune où la vie familiale a pris ses aises et que les personnes rencontrées apprécient et ne souhaitent plus quitter. Cet ancrage fort et l’inscription de beaucoup dans les activités et la vie de la commune n’empêchent pas ces anciens migrants et leur descendants de rester attachés et attentifs au devenir de la région algérienne dont ils sont originaires. Bien sûr, le travail présenté ici n’a rien d’exhaustif et ne fait qu’effleurer cette riche histoire qui relie les deux communes. Il s’appuie sur des entretiens réalisés avec quelques personnes aujourd’hui âgées, dont les souvenirs ont permis de reconstituer les aléas et les fortunes de cette migration, le parcours de certains entre là-bas et ici, entre Hadjadj et Saint-Pierre des Corps.

Mémoires Plurielles
Pôleth M. Wadbled
Mai 2015