Ma famille est originaire du Minho, dans le Nord, près de la mer
Mon père est arrivé dans les années 60, pendant la dictature de Salazar. Mes grands parents paysans et avaient 5 enfants quand ils ont décidé d’émigrer. Le grand père est d’abord parti en France tout seul avec un contrat de travail. Il a atterri dans une ferme près de Bourges. Pour lui, ça n’a pas du tout été « a salto », pas du tout le « lapin ». Le salto, c’est : »sauter comme des lapins » !
C’est comme ça qu’on disait, quand on passait la frontière… discrètement… On disait qu’on avait le « passeport du lapin » mais mon grand père, lui, n’était pas dans ce cas car il avait la chance d’avoir eu un contrat, donc un moyen d’y aller.
Il a travaillé deux ans tout seul, et il a trouvé une maison à côté de Bourges. C’est le schéma classique pour beaucoup de Portugais. Après, ma grand-mère est venue en train avec ses 5 enfants, le rejoindre et vivre avec lui. La grand-mère était enceinte quand il est parti et elle a accouché toute seule.
Il est venu pour pouvoir manger et se chauffer et vivre dans des conditions, sortir de la misère. Pas du tout des raisons politiques, des raisons économiques.
Mon père, l’un des cinq enfants avait 10 ans quand il est arrivé. C’est lui l’aîné. Les autres avaient 4 et 3 ans au moment du voyage.
Ils sont restés dans la région et ont construit une maison comme tout le monde à 60 ans, la maison de ses rêves au Portugal mais ils ne sont jamais retournés habiter là bas parce que ma grand-mère ne voulait pas habiter là bas. Elle, elle voulait rester en France.
Alors, ils ont fait des va-et-vient comme on dit, tous les étés. Mon père les a souvent emmenés en voiture à Pâques et l’été, pas à Noël.
Mon grand père s’occupait au départ d’une ferme. Ils ont fait plusieurs fermes avant de s’occuper d’une entreprise où il s’occupait du gardiennage de l’entreprise. Et la grand-mère n’a jamais travaillé, elle s’est occupée de ses 11 enfants !
Moi, je suis née à Tours. où mon père avait trouvé du travail et une femme de la région, ma mère! Et ils ont fait deux enfants à Tours. Je suis tourangelle mais j’ai aussi l’âme portugaise.

Par Pôleth Wadbled – 27 05 2011
(Cet article est extrait de « Histoire et mémoires des immigrations en Région Centre », rapport coordonné par Sylvie Aprile, Pierre Billion, Hélène Bertheleu. Acsé, Odris, Université François Rabelais, mai 2008)

La faiblesse numérique du phénomène migratoire au XIXème siècle ne doit pas en limiter l’analyse ici plus qualitative que quantitative. Un certain nombre de situations qui se retrouvent au XXe siècle prennent ici naissance.

Les étrangers venus en Touraine s’inscrivent dans des migrations souvent brèves, non définitives, par étape. Ils sont constitués par des rentiers et des oisifs ainsi que des métiers de services dans lesquels les migrants surtout allemands et anglais sont réputés : chauffeurs et surtout nurses et gouvernantes. Ceci entraîne une féminisation qui ne traduit pas un enracinement par la famille, ce sont des femmes jeunes et célibataires.

Ces premiers résultats revoient aux quelques analyses qui ont été menées surtout sur des grandes villes, Paris et Bordeaux. Dans ces deux cas ce sont des domestiques allemandes qui constituent l’échantillon étudié.

Les sondages réalisés dans les sources des archives départementales d’Indre-et-Loire semblent témoigner plutôt d’une présence britannique et d’un fort turn-over, indication d’un va-et-vient et d’une forte mobilité de ces migrantes souvent très jeunes. La disparition subite de certaines d’entre elles témoigne certainement de situations précaires et difficiles. Les témoignages des élites sont aussi une source : Marie de Flavigny a raconté dans ses souvenirs d’enfance les lectures de Grimm faites avec sa nurse allemande.

Ceci ne doit pas faire oublier l’existence de courants migratoires venus des autres pays voisins comme la Belgique et formant une main-d’œuvre industrielle et rurale masculine dispersée encore moins visible si ce n’est dans le cadre de l’analyse des recensements villageois (dans les cinq départements) et dans une perspective d’analyse micro-historique et multiscalaire.